Zao Wou Ki

MUSEE D’ART MODERNE DE LA VILLE DE PARIS, Juin 2018 – Janvier 2019

Zao Wou Ki, traversée des apparences_1956_Wou Ki Zao_musée d’art moderne VP_2 juin 2018

Je l’attendais depuis longtemps… car bien que Zao Wou Ki ait vécu à Paris depuis son départ de Chine, en 1948, il est rare de voir ses œuvres dans la capitale. La dernière exposition qui lui a été consacrée, au musée Cernuschi, en 2016, était par ailleurs plus que décevante par l’absence de toiles, la donation Françoise Marquet-Zao comprenant essentiellement des objets d’art chinois de la collection de l’artiste, et quelques-unes de ses œuvres sur papier et céramiques. L’attente n’a pas été déçue. Bien que modeste, l’exposition « Zao Wou-ki, l’espace est silence », pour reprendre les mots d’Henri Michaux, propose une impressionnante réunion de toiles et d’encres des années 1950 au début du XXIe siècle, soit des décennies marquées par le choix de l’abstraction après des débuts figuratifs et le recours à de grands formats qui s’en suit. Des panneaux d’un seul tenant, des triptyques, des quadriptyques, alternant l’horizontale et la verticale, mais toujours caractérisés par une explosion de couleurs et de matières d’une incroyable beauté et donnant l’impression d’une grande spontanéité du geste alors même que chaque centimètre de la toile est soigneusement et diversement travaillé.

La variété des formats contraint néanmoins Wou-Ki, à chaque fois, à repenser l’organisation de la toile et sa facture, qu’il centre les motifs, traits, coulures, couleurs vives ou sombres (« 29.01.64 », « 15.12.61 »…) ou les rejettent au contraire en bordure de toile, focalisant alors l’attention sur un vaste « aplat » de vide plus clair mais néanmoins violemment et minutieusement travaillé (« 01.05.82 », « 03.12.74 ») ; qu’il opte pour une densité, une certaine saturation de matière (« hommage à Edgar Varèse », 1964, « 31.01.63 »…) ou au contraire pour une fascinante fluidité de geste proche de l’encre (« le vent pousse la mer, triptyque », 1964). Le parcours textuel, qui suit la chronologie des œuvres, ne m’a pas semblé convainquant, n’éclairant que peu le travail de l’artiste. Mais peut-être, comme le remarque Agnès Varda dans l’une des vidéos qui accompagnent l’exposition, n’avons-nous pas les clefs pour comprendre l’œuvre de Wou-Ki, un œuvre marqué par la tradition culturelle chinoise -l’apprentissage de l’écriture par le pinceau, la calligraphie- et des influences occidentales que l’on ressent au fil du parcours à travers la série d’hommages rendus par Wou-ki : Matisse, Monet…, les artistes qu’il côtoya à Paris (Giacometti, Picasso, Sam Francis, Joan Mitchell…mais également des poètes tels que Michaux, des compositeurs tels que Varèse), la vitalité de l’art américain qu’il perçut et qu’il découvrit directement lors de voyages aux Etats-Unis.

Si les premières décennies m’ont semblé les plus pertinentes, les plus caractéristiques aussi de sa peinture, il est néanmoins passionnant de noter la capacité de l’artiste à se renouveler au fil du temps et de découvrir des toiles plus tardives et tout à fait détonantes telles que « l’hommage à Claude Monet », 1991 ou le quadriptyque de décembre 89-février 90. Dans les années 1950-70, la peinture de Wou-ki évolue, abandonnant de plus en plus les pictogrammes hérités de sa Chine natale et toute idée de représentation du réel pour un travail plus gestuel (« Nous deux », 1957), abstrait, mais nourri par des rencontres (« hommage à Henri Michaux », 1964, « hommage à Edgar Varèse », 1964) et l’intimité du peintre (« en mémoire de May », 1972, « Nous deux », 1957 qui évoquent respectivement le décès de sa 2e épouse et la séparation d’avec sa femme Lan Lan), et où réapparaissent parfois des éléments figuratifs comme la barque de « le vent pousse la mer, triptyque », 1964, ou le décor funéraire Han de Liaoyang qui inspire « le temple des Han, triptyque », 2005, signe que l’artiste n’opte jamais pour une abstraction radicale et que la nature demeure présente dans son imaginaire.

Zao Wou Ki, traversée des apparences_1956_Wou Ki Zao_musée d’art moderne VP_2 juin 2018

Une toile comme « Traversée des apparence » est emblématique de cette approche, de ce détachement du réel qui vise à atteindre une vérité plus profonde. La toile, un long format horizontal, présente un « aplat » coloré aux tons crémeux et doux, soigneusement travaillé, comme un vaste ciel nuageux sur lequel se dessinent, dans la partie centrale, une multitude de touches denses et sombres, noirs, violacées, brunes, animées et rythmées comme une plaie béante et complexe mais d’une profonde délicatesse. Plus qu’un paysage abstrait, l’artiste dévoile ainsi un espace nouveau au regard. A partir des années 80, s’il poursuit son travail pictural, l’artiste renoue avec une technique héritée de son histoire, l’encre sur papier. La dernière salle propose une belle série de pièces dont quatre panneaux préparatoires d’un rideau de scène théâtral pensé pour Pékin (« sans titre », 2006). Il en ressort une grande liberté de geste et une vitesse nouvelle d’exécution, la poursuite, mais renouvelée, de sa pensée du vide et du plein, de la peinture et du support (« sans titre », 1986). A voir et à revoir, les reproductions photographiques étant bien pauvres à rendre la qualité intrinsèque de ces toiles, comme souvent en ce qui concerne la peinture abstraite…

Atkins Ed_musée d’art moderne VP_2 juin 2018

A voir également au musée d’art moderne de la Ville de Paris une intéressante animation d’Ed Atkins, « Happy birthday !!!», travail centré sur la mort et l’omniprésence du numérique, et nourri de références littéraires et artistiques (Nauman), présentée dans les collections permanentes ainsi qu’un ensemble de toiles de la hongroise Judit Reigl où émergent peu à peu, à partir des années 60, des formes anthropomorphes, des torses d’homme se dressant contre le néant.

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Author: Instant artistique

Conservateur de bibliothèque. Diplômée en Histoire et histoire de l'art à l'Université Paris I et Paris IV Panthéon-Sorbonne. Classes Préparatoires Chartes, École du Patrimoine, Agrégation Histoire. Auteur des textes et de l'essentiel des photographies de l'Instant artistique, regard personnel, documenté et passionné sur l'Art, son Histoire, ses actualités.

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